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  • Séverine

Venise, le 9 mars 2020

La promenade matinale du chien s’est transformée en une journée de vacances ensoleillée. Nous avons rencontré des amis sur le campo puis à la plaine de jeux, les enfants s’amusaient, les parents aussi. Nous avons déjeuné tous ensemble au soleil. Comme si tout allait bien. Pourtant tous sont inquiets, certains parlaient des mutineries dans les prisons qui ont déjà fait plusieurs victimes à Modène. Marta entendait de chez elle les hurlements de la prison féminine. Pour moi cette prison évoquait jusqu’ici le petit étal du jeudi calle Convertite où les prisonnières vendent les légumes de leur potager. Elles se révoltent contre la suppression des visites ; quand tous les habitants découvrent une forme bien plus légère d’enfermement. Même notre enfermement commence à être contrôlé. Des Italiens ont été arrêtés pour avoir tenté de sortir des zones confinées sans raison valable, ils risquent la prison.


Mira, très brune et voix rocailleuse, une militante qui était à Lesbos et Idlib, veut organiser un réseau pour porter les courses aux personnes âgées cloîtrées chez elles. Gina, elle, est en colère contre le Gouverneur qui a rétrogradé la Vénétie en zone orange et non rouge. Ce déclassement ne lui permet plus de suspendre le paiement des factures d’électricité. Elle accuse les hommes politiques (aucune femme n’occupe un poste décisif), inconsistants et irresponsables, que le peuple ne les croit pas et ne respecte donc pas leurs mesures. Jeanne rêve de ne pas devoir donner ces leçons théoriques quotidiennes que les professeurs envoient, mais plutôt que ses enfants en profitent pour étudier leur environnement, se promener place Saint Marc à la découverte de leur histoire. Gina a justement emmené ses enfants en haut du campanile le samedi, avant qu’il ne ferme. Les Vénitiens sont fiers de retrouver leur cité sans le flot des touristes.


Sur la vitrine de la pizza al taglio : « même avec la nouvelle ordonnance, nous faisons les livraisons à domicile »



Sur la fondamenta, face au canal de la Giudecca, le silence est assourdissant. Seuls quelques vaporetti se croisent, aucun bateau de tourisme ni taxi à l’horizon. Mêmes les bateaux de transport de marchandise se font rares. Les affichettes se sont multipliées sur les vitrines des commerces. Au début de la crise voici deux semaines, la pharmacie annonçait ne plus avoir de gel antibactérien ni de masques. Aujourd’hui, le magasin de fruits et légumes ne fait entrer que deux client à la fois, les magasins et restaurants demandent de respecter une distance d’un mètre entre consommateurs. Les bars annoncent leur fermeture à dix-huit heures – avant l’apéro. Au supermarché le rayon des alcools – ceux à boire, pas à désinfecter – était bien vide. Les Vénitiens prendront l’apéro chez eux. Peuple de marins.



Sur la vitrine d’un bar, « à partir du 8 mars 2020, à cause du nouveau décret, la fermeture aura lieu à dix-huit heures ». L’affiche du dessous rappelle qu’à a partir du 2 mars 2020, la clientèle doit respecter une distance d’un mètre.


J’attends les démonstrations de foi. Le dimanche précédent, des Témoins de Jehovah sont venus sonner à notre porte. Ils disaient que la Bible peut être un réconfort en cette période troublée. Nous avions rit sous cape, nous Juifs laïcs. Je me demande quand allons-nous assister aux processions de reliques dans les calle ? Et qui sera montré du doigt ? Les étrangers, les touristes, les autres ? Nous ? Venise a créé le premier ghetto de l’histoire européenne il y a cinq cent ans. Aujourd’hui tout Venise est un ghetto. J’aimerais échapper à cette redondance historique.

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