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  • Séverine

Venise, le 30 septembre 2020

Aggiornamento: 10 dic 2021

Nous sommes rentrés à Venise, nous en sommes repartis, y sommes revenus à nouveau. Maison, valise, poussette, vaporetto, parking. Pont de la Liberté. Se mêler au flux des voitures, routes en travaux infinis et incompréhensibles, morceau de pont autoroutier encore suspendu dans le vide. Quitter Venise, c’est revenir au vingt-et-unième siècle, à la modernité grise. A la liberté aussi de pouvoir rouler et arriver où l’on veut, à la facilité de se parquer dans le garage sous-terrain, de décharger en un instant. Le confort. Liberté ou aliénation ? Les deux sans doute. Revenir à Venise, quitter l’autoroute, s’engager à nouveau sur le pont de la Liberté. Apercevoir la cité insulaire qui flotte sur les eaux calmes de la lagune, comme en apesanteur ; les campaniles, les coupoles. Et une impression d’enfermement, une angoisse m’étreint chaque fois que je traverse le pont, que je quitte la terra ferma. Vivre à Venise est une folie. Une folie fascinante. Une folie tout de même.


Isolé. Etymologie : Ital. isolato, isolé, et isolato, quartier de plusieurs maisons isolées ; du lat. insulatus, séparé comme une île, isolé, délaissé, de insula, île. (Littré).


L’île et l’isolement. Un isolement heureux et serein quand les enfants jouent chaque après-midi sur le campo, les parents les regardent négligemment de la terrasse du bar, devant leur prosecco. Un isolement angoissant aussi car quitter l’île est compliqué de manière générale. Maison, valise, poussette, vaporetto, parking. Une heure juste pour monter en voiture. Un isolement flippant s’il devient contraint à nouveau. Nous continuons d’avancer, sachant que le prochain confinement nous guette.


Pour entrer en Italie depuis la France, nous avons dû faire le test. Longue file sur un trottoir étroit, attente, promiscuité masquée. Test qui vrille le cerveau. L’inconfort du frottis vaginal mais dans la tête. Tous négatifs, soulagement.


A Milan, atmosphère tendue, ville meurtrie. Les amis n’ôtent leur masque que pour manger. Mon fils dans les bras de son grand-père, masqué, lunettes de soleil opaques, casquette. Seuls ses sourcils broussailleux émergent. Mon fils enfin sevré qui dort un peu mieux et qui rit joyeusement, qui trouve cette réalité normale. Tel Aviv en confinement strict pour un mois, probablement plus. Marseille sans loisirs. Parcs fermés à Amsterdam. Bruxelles en perdition.


Nous avançons comme si de rien n’était, nous acceptons cette nouvelle réalité, nous faisons semblant. Ma fille est retournée à l'école après sept mois. Elle est entrée en première primaire, masque violet sur la bouche. Masque jetable obligatoire dans les couloirs de l’école et pour se lever de son pupitre. Masque à l’effigie de ses personnages préférés dans les transports en commun. Mon fils est retourné à la crèche, contrôle de température chaque matin, puéricultrices masquées toute la journée. Plus de sourires, que dans le regard. Mais encore ce moment d’émerveillement sur le chemin de la crèche lorsque la vue s’ouvre sur le bassin de San Marco et je me souviens que vivre ici est aussi un privilège.


Nous reprenons notre vie vénitienne. Dans l’attente du pire. Mis en joue.


C’est l’histoire d’une société qui tombe et qui au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien. Mais l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage.

Extrait de La Haine, Mathieu Kassovitz, 1995.

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