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  • Séverine

Venise, le 2 avril 2020

La nuit dernière, après un (long) réveil de mon fils, j’ai entendu la sirène. Pas les sirènes d’Ulysse non, la sirène de l’acqua alta. Un long bourdonnement qui prévient de la marée haute, cause des inondations typiquement vénitiennes. Seulement une longue note, 110 cm. Deux, trois ou quatre notes de plus en plus aigues auraient indiqué une marée bien plus haute. Heureusement pas d’acqua alta dévastatrice cette nuit, juste un petit rappel de la fragilité de la cité.

Quand nous avons emménagé à Venise, j’étais dans l’ignorance de ces sirènes – et de tant d’autres aspects de la vie insulaire. Nous avions quitté Tel Aviv un an plus tôt, principalement pour ne plus entendre de sirènes. Quand notre fille était nouveau-né, à l’été 2014, nous avions vécu un long été de sirènes quotidiennes. Sirènes qui indiquaient qu’un missile venait d’être lancé depuis Gaza vers Tel Aviv et que nous disposions de deux petites minutes pour nous réfugier dans le bunker. Pourtant nous étions privilégiés. Dans les villes et villages israéliens autour de Gaza, ces sirènes font partie du quotidien depuis des années et la population dispose de quinze à trente secondes pour trouver un abri. Et à Gaza, la population n’a ni sirène ni bunker pour se protéger. Nous étions donc sans aucun doute privilégiés – nous disposions même d’un bunker dans notre appartement. Mais venant d’Europe, habituée à la paix, ces sirènes m’ont hantée longtemps. Je sursautais au vrombissement lointain d’un scooter et même le murmure lancinant de la machine à laver de nos voisins m’évoquait le son honni. Nous ne voulions plus nous sentir menacés, enfermés – en fait seule notre fille avait été cloîtrée tout l’été, nous nous allions travailler comme tout le monde, craintifs. Nous avons décidé de partir car nous ne voulions pas nous habituer à la guerre, à la peur, au deuil.

J’étais à la recherche d’un endroit calme, loin du vacarme du monde. Nous nous sommes d’abord arrêtés à Ibiza, puis à Venise. Je me sentais protégée sur notre île. Dans cet espace-temps si particulier, au dix-septième siècle mais avec internet. Dix mille morts en Italie déjà. C’est autant que le conflit israélo-palestinien ces vingt dernières années. Ce virus me fait réaliser qu’aucun lieu n’est à l’abri. Que la fuite est inutile. Mon nomadisme futile.


Cette vidéo date du 13 novembre 2019. Un drame à la fois, heureusement.

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