Je continue à dater en commençant par «Venise», je garde l’espoir qu’un jour je pourrai écrire d’ailleurs. Ce jour-là, est-ce que je prendrai conscience de la valeur de l’ailleurs, de l’exceptionnalité du voyage ? Ou bien nous réhabituerons-nous vite à notre mouvement perpétuel, à notre vie frénétique ?
Ce matin, nous voulions tous les deux sortir le chien. D’habitude Uri s’y colle, dévoué. Mais ces jours-ci Drago représente notre permis de sortie. J’ai eu la chance de faire une longue ballade matinale, de rencontrer plusieurs amis. Claudia promenait sa petite Rosy sur le campo, Jeanne sortait du tabac (qui finalement peut rester ouvert). Double chance de vivre dans notre petite île village et d’avoir un chien !

Sur la porte du tabac : « nous vous demandons de contrôler les jeux à gratter à l’extérieur du magasin »
Sur la fondamenta, le ciel est teinte RAL 7035 (à Bruxelles il est souvent RAL 7040, plus foncé), la lumière blafarde. Les files devant les boutiques longues et silencieuses. Aucun enfant dans les rues, beaucoup de personnes affublées d’un masque. Il y a trois semaines quand le virus commençait à se répandre, j’avais aperçu quelques rares masques médicaux au milieu des touristes masqués de plumes pour le carnaval. On en voit de plus en plus dans les rues, les passants, les travailleurs, les transporteurs. A la poste, ils ne laissent entrer qu’un client à la fois, hier deux, la semaine passée six. Drago s’est comme souvent arrêté devant la vitrine de la boucherie ; de son comptoir Roberta a mis du haché sur une feuille plastique et a demandé à un client de nous l’apporter. J’étais mal à l’aise au moment de saisir le cadeau, gênée d’enfreindre la règle en posant mes doigts sur un plastic tenu par d’autres.

Plus loin j’aperçois Leonardo dans son agence d’architecture, il travaille, son jeune fils regarde des dessins animés ; pendant ce temps à leur maison, sa femme – mathématicienne surdiplomée – fait l’école à leur fille de huit ans. Nous discutons sur le pas de la porte des ressorts positifs éventuels de cette crise. Il évoque la décroissance positive, je rêve que le politique ose à l’avenir prendre des mesures impopulaires pour défendre l’écologie ou accueillir les réfugiés. Des carabinieri nous interrompent, nous demandent ce que nous faisons dehors. Lui montre son bureau, moi mon chien. L'avenir sera-t-il le contrôle ? Leonardo leur demande s’il peut ce soir aller pêcher à San Giorgio, la petite île entre nous et San Marco. Réponse négative : seuls les sports physiques sont permis. Je me demande si la vogue vénitienne est considérée comme un sport physique ? Ce serait l’occasion d’apprendre à naviguer en gondole. Le jour où les transports publics seront à l’arrêt, nous pourrons toujours ramer jusqu’à la terre ferme…
A dix-huit heures les Italiens ouvraient grand leurs fenêtres et chantaient, jouaient ou mettaient de la musique pour que la vie résonne. De chez nous le silence était aussi assourdissant que d’habitude. Mais Jamiroquai nous a mis la patate pendant quatre minutes.
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