Le temps passe et passe et passe et peu de choses ont changé
Qui aurait pu s’imaginer que le temps se serait si vite écoulé.
Ou si lentement. Identique. Répétitif.
Encéphalogramme plat. Comme la lagune.
Tout recommence, les marées, l’acqua alta, le vent, le confinement qui ne dit pas son nom.
La fondamenta est mouilée mais pas trop. J'ajuste mon masque pour franchir les quelques pas de l’entrée au comptoir, l’enlève pour boire mon Caffe latte. Instant banal et précieux, qui me manquera quand les bars fermeront à nouveau.
Masquée dedans. Masquée dehors de plus en plus souvent, comme les autres. Comme les carabinieri qui patrouillent. Comme ma fille, qui n’a jamais connu l’école sans masque. Qui n’a vu les visages de ses maitresses que sur ipad lorsque l’école était fermée. Au printemps dernier et à nouveau la semaine dernière. Quarantaine. Gastro. Grève. Peu d’école. Trop de maman.
Le temps passe et passe et passe et beaucoup de choses ont changé qui aurait pu s’imaginer….
Green pass / passeport vaccinal / covid safe ticket / tav yarok / super green pass. Pfizer. Pfffffffff
Je montre mon pass chaque matin pour déposer mon fils à la maternelle, rebelote pour le reprendre. Ivy, no-vax mi-peur mi-fakenews, confie sa fille à un autre parent. D’autres se font tester chaque 48 heures à la pharmacie. Green pass obligatoire pour aller au resto, au musée, à l’usine ou au bureau. Mon fils hurle dans mes oreilles «voglio guardare!!!» de sa voix stridente. Pas de green pass pour travailler de la maison. Tenter de.
Un ami d’enfance s’en est allé, d'autres dénoncent les entailles faites à notre démocratie. L’une a quitté son mari, l’autre a trouvé un emploi. Une est blessée, une autre a couché avec un homme sans enlever leurs masques, elle connait son sexe mais pas sa tête. Beaucoup sont tombés malades du covid, mes amis, mes parents, mais pas gravement. Nous sommes tous épuisés.
Des dizaines de milliers de touristes débarquent à Venise chaque week-end. Ruelles et vaporetti bondés. Limitation du tourisme de masse en discussion depuis des lustres mais Green pass obligatoire dans les transports en commun depuis lundi. Même pour prendre le vaporetto numéro 2 qui traverse le canal de la Giudecca et nous dépose à Venise-carte postale en quatre minutes. Checkpoint à l’embarcadère. Les policiers contrôlent, refusent l’accès. Le pharmacien testeur est absent, certains se retrouvent bloqués sur notre petite île. Pas de pont pour traverser. Ni de collège sur notre île, obligation scolaire versus pression vaccinale. Sur mes cahiers d’écolier j’écris ton nom…. Michel, idéaliste, offre la traversée clandestinement sur sa barquette. Ivy m’annonce qu’elle se fera vacciner, pas pour sortir de l’île dit-elle mais car elle n’a plus peur. La croire ?
Le temps passe et passe et passe et beaucoup de choses ont changé
Qui aurait pu s'imaginer que le temps se serait si vite écoulé
On fait le Bilan calmement en s'remémorant chaque instant
J’aime les listes, les énumérations.
Je n’arrive plus à lire, je remplis des sudokus.
Ce qui me manquera quand tout sera fini ?
Le gel à l’entrée des magasins
Passer trop de temps avec mes enfants (même si j’ai du mal à l’imaginer aujourd’hui)
Ne pas se frôler dans la rue (souvenirs de Tokyo)
Se lever une file à la fois pour sortir de l’avion.
Oui j’ai pris l’avion. Seule. Tel Aviv, le soleil, les amis, le boulot aussi. La serveuse dépose les plats au milieu de la table et nous y mettons tous nos fourchettes. Des habitudes oubliées. Manger épicé, sortir, boire. Davantage de pauvreté, de violence latente. Me sentir vivante dans une ville de fous ou devenir folle dans une ville morte?
Les choses que je voudrais faire avant de quitter Venise ?
Du canoé le matin sur la lagune
Visiter le Guggenheim avec le petit fils de Peggy (the fridge was warmer than my grandma)
Boire un cocktail à l’Impérial avec mon amie A.
Ce que je regretterai quand on sera partis ?
N’avoir rien fait de la liste précédente.
Ces instants de grâce, le reflet de la lune, apercevoir la crête enneigée des montagnes, la brume bleutée
La paix.
Mais arriverons-nous à quitter Venise ?
Et tout ceci finira-t-il par finir ?
Quel plaisir et quelle tristesse de te lire à nouveau. « Me sentir vivante dans une ville de fous ou devenir folle dans une ville morte ? »
Tout est dit, il faut vivre.
Courage courage
Papa