Comme chaque 25 avril, l’Italie fête la Liberazione et rend hommage aux résistants, i partigiani. On célèbre la défaite du fascisme, la fin de l’occupation nazie. La liberté.
Ce matin, dûment masquée, mon quadrupède baveux bien en laisse, je me suis arrêtée devant la stèle qui rend hommage aux partisans de la Giudecca. Une banderole écrite à la main et une gerbe de fleurs avaient été accrochées. J’y ai croisé un couple d’amis, nous portions tous un vêtement rouge. Les carabinieri nous ont intimé l’ordre de nous disperser : les rassemblements sont interdits, même aujourd’hui. J’ai fait quelques pas et leur ai tourné le dos pour lire les messages inscrits, seule.
- E lei, cosa fa ancora qui ? - Et vous, que faites-vous encore ici?
- Sto leggendo. - Je lis.
- Non ci si puo’ fermare, - Il n’est pas permis de s’arrêter, si puo’ solo passegiare. seulement de se promener.
- Ma sono da sola, un minuto. - Mais je suis toute seule, une minute.
- Adesso, le faccio un rapporto. - Maintenant je vous fais un procès-verbal.
Et je suis partie, lâchement. Plus loin, énervée et honteuse, pendant que le gendarme regardait la banderole (la découvrait-il ?), j’ai trouvé les phrases que j’aurais voulu avoir le courage et la présence d’esprit de lui répondre :
- Faites donc, je paierai quelques centaines d’euros pour rendre hommage à qui a payé de sa vie pour nous rendre la liberté.
- Je ne bougerai pas. Nous sommes là. Mir zainen do.
- Entonner Una mattina, mi sono svegliato, o Bella Ciao Bella Ciao Bella Ciao Ciao Ciao. En espérant que mes amis, quelques mètres plus loin, chantent avec moi.
A quinze heures, commémoration corona : nous écoutons Bella Ciao fenêtres grande ouvertes. Une trompette nous a répondu. Nous avons enchainé avec le Chant des Partisans en Français et Hébreu. Nous expliquons à Anna, six ans, l’importance et le courage des partisans par analogie aux rebelles de Starwars. Son papa lui raconte l'histoire de son grand-oncle Alberto qui, parti de la Palestine britannique avec la Brigata Ebraica, participa à la libération de l'Italie. Pendant que je cherchais le chant en Yiddish, mon fils a touché le téléphone, il a lancé une de ses comptines préférées et s’est mis à danser. Quel monde leur offrons-nous ? Bibi rempile – il pourra choisir ses juges et prévoit l’annexion d’une partie de la Cisjordanie. Trump rempilera sans doute, vociférant contre tous pour cacher son incompétence. Et chez nous, Salvini, Marine, Bart ? Ou un hypothétique sursaut démocratique de la gauche évanescente ? Depuis toute petite, je me demande ce que j’aurais fait dans le ghetto de Varsovie – questionnement normal pour une Ashkénaze de la troisième génération. Aurais-je eu le courage de participer à l’insurrection ? Ado je m’espérais prenant part à la presse clandestine. Aujourd’hui j’écris parfois oui, mais sans prendre aucun risque.
A quoi sert-il de risquer d’attraper la maladie ? Mieux vaut rester en bonne santé pour leur rendre hommage dès le confinement terminé. Et dans le ghetto de Varsovie, tu aurais fait de la poésie, une arme de combat ! https://www.youtube.com/watch?v=OAdoj_fVsuY
Beau. En quelques lignes si bien écrites, un mélange de faits, de souvenirs, de cultures, de pays, de langues: la diversité d’une humanité riche, magnifique, complexe. Impressionnant. 😊